Pénombre et solitude du personnage sur scène, en
Pénombre et solitude du personnage sur scène, en noir et blanc, à l'éclairage minimaliste et latéral. Une mélodie au violoncelle le tire de sa rêverie, oupeut-être l'y plonge-t-elle pour de bon ? A rebours deseffets de manche, le jongleur assis sur sa chaise n'a qu'une balle. Un souffle semble courir sur la scène du
Décloisonner. Convergence, un nom bien sérieux pour un spectacle poétique et magique, qui emprunte aux
disciplines du nouveau cirque, du jonglage virtuel à haute dose numérique, de la danse contemporaine, mais
rappelle pourtant davantage les théâtres d'ombres et autres ancêtres précinématographiques, quand des spectres envahissaient les planches pour plonger les spectateurs du XIXe siècle dans un délicieux effroi.
Adrien Mondot, repéré lors des Jeunes talents cirque 2004, ancien chercheur sur le rendu non-photo-réaliste
à l'Inria (Institut national de recherche informatique
et automatique), travaille à décloisonner l'informatique au service de la scène et du jonglage,une marotte apprise majoritairement dans la rue. La première réalisation de sa compagnie, Adrien M, est déjà programmée par une quarantaine de scènes
nationales et théâtres expérimentant les nouvelles formes, loin des deux sources qui irriguent pourtant sa création, le cirque et les nouvelles technologies.
Jeu d'illusion. Sans doute parce que le jonglage y est
malmené, renversé et renvoyé à un jeu d'illusion entre
l'acteur et ses balles. Sans doute aussi parce que les
nouvelles technologies n'y sont que suggérées, en petites touches imperceptibles, imbriquant réel et virtuel dans un même délire onirique, tournant autour
de cette solitude du jongleur au moment du lancer de balles, fussent-elles imaginaires, en cristal ou en plastique.
Sur la scène toujours aussi nue un fauteuil, un violoncelle, un écran de tulle transparent au premier plan, les jeux d'ombres et de lumières se superposent
aux jeux du vrai et du faux des balles traditionnelles
et de celles qu'active depuis la régie une palette
graphique en temps réel. Le jonglage virtuel comme
tentative d'épuiser les contraintes physiques et
spatiales de la discipline : vitesse, pesanteur, apparition et disparition sont évidemment chamboulées.
Musique hybride. Mais comme si cette «convergence»-là ne suffisait pas à construire un spectacle, la musique
du violoncelle joué sur scène par Véronika Soboljevski ajoute une couche supplémentaire au doute qui trouble
et ravit: par moments spatialisée, sa composition électroacoustique est également hybridée aux samples électroniques de Christophe Sartori. Et, quand on croit
saisir le «truc» faisant que la trajectoire des balles-images réagit aux sons, les voilà qui se mettent
à osciller aux rythmes des mouvements du jongleur, lui-même embringué dans un ballet cinétique où elles se
jouent de lui, l'entourent et le prennent dans une toile d'araignée...
Au point de départ de cette alchimie bondissante et poétique en diable, la simple question : «Que reste-t-il du jonglage quand on enlève les balles ?» Façon de confronter les gestes et échappées sur les habituels points d'équilibre, leurres visuels et quasi
psychologiques du jonglage traditionnel, mis au pied du mur des effets des fantasmes digitaux. Que reste-t-il de la maîtrise maniaque du jongleur traditionnel quand les balles deviennent autant de personnages autonomes qui, par instants, incarnent l'ancêtre des jeux vidéo, un jeu de tennis à la taille du tulle de scène ? Est-il encore possible d'admirer la virtuosité de l'artiste quand il lui pousse deux, trois, quatre bras, et que les vraies balles rivalisent avec les fausses,forcément plus nombreuses et facétieuses ?
Fragilité et fatuité du jongleur se télescopent jusqu'à ce qu'Adrien Mondot traverse l'écran de tulle et sorte de sa manche une balle de cristal : les reflets de lumière irisée la rendent plus légère que toutes les balles virtuelles réunies. Après la salve d'applaudissements, Mondot prend la parole et invite le
public à «boire un coup».